Alessandro Mendini et la collection Ollo - Des monuments domestiques néo-modernes

ALESSANDRO MENDINI (1931-2019)

Jusqu’en 1959, Alessandro Mendini suit la voie royale des designers italiens : une enfance milanaise auprès de parents férus d’art contemporain, des études d’architecture au Politecnico. Mais il est un des premiers à se rebeller contre le diktat du modernisme monacal issu du "form follows function". Selon lui, objets et mobilier sont devenus trop impersonnels à force d’être fonctionnels. Il rejette le Bauhaus et son puritanisme moderniste : "pour moi, le minimalisme tient de la punition que l'on s’inflige". Mendini prône un design contestataire. Il invente dans les années 1960 le concept de Contro-design (Anti-design) qui s’oppose frontalement à la logique de production industrielle pour le plus grand nombre, imposant au monde sa mode. A rebours de l’industrialisation d’après-guerre, il veut des meubles en petite série, objets de luxe aux confins de l’art, artisanat et industrie, ouvrant la voie au design de galerie. Il se lance en 1970 dans le journalisme où il développe ses idées révolutionnaires. Il fait ses armes chez Casabella puis lance Modo avant de rejoindre le magazine Domus, fondé par Gio Ponti. Il se lie d’amitié avec Ettore Sottsass et Michele de Lucchi, qui partagent la même vision. Ensemble, ils créent le collectif Global Tools avant de rejoindre en 1976 Alchimia. Dès 1974, tel un alchimiste, il met feu à deux chaises Lassù, préfigurant le manifeste d’Alchimia : il annihile leur fonction première et les transforme en autels du design, sculptures célébrant la mort du fonctionnalisme.

STUDIO ALCHIMIA (1976-1992)

Selon Charles Zana, "La radicalisation a d'abord pris forme avec le mouvement Alchimia à la fin des années 1970. A cette époque, des hommes ont eu l'intuition de créer des collections qui n'étaient pas dictées par le marché. Ils se sont volontairement placés en dehors des canons du bon goût". Alchimia, créé à Milan en 1976 par Antonio Guerriero, est dès sa naissance un collectif influent de designers et de théoriciens travaillant à promouvoir l'avant-garde, unis derrière l'objectif de concrétiser les concepts les plus radicaux. Selon le manifeste du groupe, ce qui compte, c'est l'acte même de "dessiner". Branzi, Mendini , de Lucchi et Sottsass rejoignent le collectif pour établir le "Nuovo Design", embrassant les nouvelles technologies tout en jouant avec les formes et couleurs, loin du fonctionnalisme moderniste. L’"alchimie" ne naît pas comme un phénomène isolé, mais dans un large contexte culturel. Alchimia se positionne entre le mouvement radical anticonsumériste des années 1960-70 porté par Archizoom, et le postmodernisme de Memphis qui, à partir de 1981, se concentrera sur la conception de nouveaux mondes d’objets et de visuels. Alchimia est un espace où les créatifs radicaux se réunissent et collaborent, en théorie et en pratique. Ces designers ont des perspectives différentes, mais partagent leur intérêt pour l’"anti-design", rejetant l’industrialisation et l'approche minimaliste des grands mouvements du début du XXe siècle. Ces idéalistes choquent avec leurs meubles imprimés de motifs géométriques kitsch aux accents punks. "Pendant 2 ans, tout le monde s'est moqué de nous". Mais Alchimia joue un rôle central dans le rapprochement entre design et art. Pour Mendini, toutes les formes ont été explorées. Le design est dans une impasse créative, la décoration a pris le dessus. Il faut tout recommencer. Avec le Proust (1978), il reprend les lignes d’une classique bergère et appose un motif emprunté au pointilliste Paul Signac. Ce manifeste « anti-design » est d’abord fabriqué à la main. Mendini devient le père du post-modernisme, incarnant un design expérimental hors de tout rationalisme fonctionnaliste. Avec ses premières collections (Bau.Haus Uno-1979 et Bau.Haus Due -1980), il approfondit la théorie du re-design en réinventant les meubles iconiques du XXe siècle de Kandinsky, Rietveld ou Ponti, ajoutant couleurs et motifs. Ils sont aussi fabriqués à la main. Avec Memphis et son importante production commercialisable, Sottsass s’éloigne du "fait main". Mendini acte la rupture : le design doit rester romantique.

OLLO : UN NOUVEL ALPHABET POUR DES MONUMENTS DOMESTIQUES (1987-1990)

La collection Ollo fut dévoilée partiellement lors de la grande exposition internationale artistique Documenta 8 à Kassel (Allemagne) en 1987, puis à Milan en 1988.

Les formes "Ollo" sont l'expression d'un nouveau "design pictural" : Mendini crée un nouvel alphabet visuel pour des objets(meubles, tapis, vases, tissus…) produits par Alchimia en édition limitée. Fidèle à son manifeste du re-design, les créations Ollo de Mendini émergent de styles universels comme la sécession viennoise et l’art déco, mais visent, dans une volonté « futuriste », à recouvrir l’univers de signes, dont le motif Olimpico.

La table Ollo fait clairement référence à la table à jeux de Jean Dunand de 1929, dessinée pour la couturière Madeleine Vionnet. En fonction du placement des chaises, cette table se présente sous plusieurs jours. Lorsque les assises sont rangées, elle apparait comme un gigantesque cube faisant d’elle un volume décoratif à part entière. Chaque chaise a pour particularité de pouvoir être encastrée dans la table.

Texte de Antoine Nouvet pour Remix Gallery
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