Dans l'œil de Laurence Vauclair : Plein feu sur la Manufacture de Sèvres

Passionnée par les arts du feu, cette technique réunissant trois éléments vitaux, la terre, l’eau et le feu, Laurence Vauclair nous parle aujourd’hui de l’un des fleurons français, la Manufacture de Sèvres et met en lumière l’une de ses œuvres, « Enfants au cornet » de Jean-Denis Larue…

Un peu d'histoire

La manufacture fut créée en 1740, au départ à Vincennes fut transférée à Sèvres en 1756. Elle produit une porcelaine tendre puis suite à la découverte d’un gisement de kaolin en France, la maison pourra produire de la porcelaine dure dont le début de la commercialisation est daté de 1773.

Le Second Empire marque un renouveau à la Manufacture de Sèvres. Elle encourage désormais les nouvelles initiatives en matière technique. Si la porcelaine reste le fer de lance de la production, plusieurs ateliers voient le jour pour encourager une autre forme de céramique. L’atelier de faïence et terres vernissées, actif entre 1852 et 1872 renouvelle la production en cherchant de nouveaux effets.

A la fin du XIXème siècle, d’autres manufactures importantes comme Sarreguemines et Minton réalisent d’importantes pièces artistiques en barbotine. La Manufacture de Sèvres ayant toujours été en phase avec son temps, va donc développer une technique similaire qu’elle appellera le pâte-sur-pâte. La barbotine va réellement devenir un courant artistique à part entière et va marquer un tournant qui fera évoluer l’art de la céramique de manière forte.

La manufacture de Sèvres aujourd'hui

La Manufacture de Sèvres est une maison qui a toujours été à l’écoute des nouvelles tendances et qui s’est toujours questionnée sur la manière de faire évoluer la matière. Encore aujourd’hui, Sèvres fabrique sa pâte à porcelaine et est la seule Manufacture en France à le faire !

Elle possède un patrimoine riche que l’on peut découvrir quand sont ouverts les fours à l’ancienne (lors des journées du patrimoine). Il est extraordinaire de comprendre comment fonctionnaient ces fours et quels étaient les risques durant leur utilisation. Les artisans se relayaient nuits et jours afin de faire fonctionner le four le temps de la cuisson. On y cuisait beaucoup de pièces à la fois, par soucis d’économie et l’on construisait donc des étages, des tampons, afin que les pièces ne s’effondrent pas les unes sur les autres.

Aujourd’hui, les pièces sont fabriquées dans un endroit appelé « le Moulin ». Sèvres possède également un atelier d’émaillage fabuleux. Il faut imaginer un grand bain de liquide épais dans lequel un artisan va, avec un geste d’une certaine dextérité, plonger la pièce en un aller-retour. Elle est alors émaillée et peut passer au four. Ces gestes qui constituent les étapes de fabrication d’une céramique : tourner, émailler, poser les décors, sont ancestraux, immuables, et sont perpétrés à la Manufacture de Sèvres.

A Sèvres, tous les moules sont conservés depuis l’origine dans un endroit fantastique. À l’occasion d’un événement particulier, ils décident de reprendre le moule d’une pièce historique et de réaliser un nouveau décor. Cela peut être fait par l’Elysée lors d’une commande de nouveaux services pour l’arrivée d’un nouveau président, ou encore à la commande d’un cadeau pour le jubilé de la Reine d’Angleterre.

La pièce coup de cœur de Laurence Vauclair

Il s’agit d’une œuvre réalisée en 1863 par Jean-Denis Larue (1815-1884) intitulée « Enfants au cornet », en faïence émaillée et barbotine et provenant de la Manufacture de Sèvres.

Nous ne connaissons que trois autres exemplaires de ce superbe vase. Deux sont conservés à la Cité de la Céramique à Sèvres, un troisième au Mobilier National.

Réalisée en deux parties, le piédestal aux enfants et le vase proprement dit, la pièce affiche des dimensions monumentales (152 x 59 cm).

Cette pièce détourne les principes de la céramique pour devenir un véritable morceau de sculpture. La fonction utilitaire du vase disparaît au profit d’un foisonnement de détails et du mouvement des figures. Les enfants s’inscrivent dans une ronde harmonieuse et retiennent un drapé bouffant qui rappelle les caractères de la sculpture baroque. La conception du vase oblige le spectateur à tourner autour pour apprécier les qualités de l’œuvre sur toutes ses faces. Si la pièce s’inscrit véritablement en trois dimensions, elle séduit aussi par son approche réaliste. Chaque élément du décor naturaliste de la base est traité dans le moindre détail pour reconstituer un paysage rocheux. Les figures offrent un sentiment de vérité étonnant qui s’explique par la méthode de travail de Larue qui faisait appel à des modèles vivants pour saisir au plus près le sentiment de vie.

C’est une pièce extraordinaire, rare témoin d’une production totalement méconnue réalisée à l’atelier de faïence.