Le travail de Gaetano Pesce a joué un rôle significatif dans mon parcours sur le plan artistique et émotionnel. Je l'ai découvert en 1996 à travers son exposition "Le temps des questions" au Centre Pompidou. Celle-ci appartient à une génération d'expositions fondamentales à mon éveil à l'art contemporain et au design (« Hors limites, L'art et la vie », « L’Hiver de l’amour », « Féminin - Masculin, Le sexe de l'art », « Le temps, vite ») qui se sont déroulées entre autre dans ce musée, et ont nourri mes aspirations à développer ma propre pratique d'artiste plasticien. L'univers de Gaetano a fait écho à mes préoccupations et a marqué mon imaginaire esthétique jusqu'à ce qu'en découle en 2011 la réalisation de la vidéo "Le Sentiment d'aventure" (exposée à l’époque par la Galerie Sultana) dans laquelle le moulage de mon pied tiré à un exemplaire unique en glaçon noir est en train de fondre pour disparaître dans une flaque opaque. Cette sculpture s'inspire directement du modèle UP7, une chaise longue en forme de pied surdimensionné en mousse de polyuréthane éditée par C&B. En outre, le titre se réfère à l'irréversibilité du temps examinée par Jean-Paul Sartre dans "La Nausée", une thématique partagée dans nos travaux respectifs. Au fil des années, j'ai constitué une collection d’objets, de prototypes et de documentation autour de son œuvre, si bien que lorsque ma passion pour le design est passée au premier plan et que je suis devenu marchand, l'œuvre de Gaetano a d'emblée occupé une place centrale.
Sa production prolifique s'étend sur plusieurs décennies et se déploie en différents pans, entre pratique de studio et nombreuses collaborations avec éditeurs et industriels, et bien sûr des réalisations en architecture. Il est parvenu avec cohérence à transposer un mode de fabrication artisanale à une production en série de plus grande échelle en conservant certaines spécificités de la pièce unique. Je suis particulièrement touché par son geste créatif qui se caractérise par la fusion entre l'art et le design, et par des objets utilitaires qui jouent avec la notion de fonctionnalité. Au-delà de leurs formes anthropomorphes et organiques, je dirais que ses pièces ont quelque chose de vivant, non seulement grâce aux messages humanistes qu'elles incarnent, mais probablement aussi à la grande sensibilité avec laquelle la matière est manipulée, guidée, acceptant l’aléatoire, parfois l'accident. La résine et d'autres produits issus de la pétrochimie sont devenus indissociables de son œuvre expérimentale. A l'instar de l'être humain, chaque création est différente, avec ses défauts, ses imperfections, une certaine fragilité en émane, et leurs propriétés physiques peuvent évoluer. A son atelier, j'ai compris ces mots comme une sorte de philosophie : "Tant que vous êtes satisfait de la forme et qu'elle reste fonctionnelle, tout va bien dans notre monde".
Dans mes accrochages, je combine ses pièces à d'autres créations plutôt minimalistes, toutes aussi radicales et à dimension sculpturale. Souvent, la simplicité côtoie le spectaculaire, une construction dans laquelle je m'évertue de fixer un équilibre et d'effeuiller le désir. Mon approche curatoriale avait plu à Gaetano et il m’avait proposé de réaliser 3 chaises pour mon stand à Paul Bert. Le temps nous a malheureusement manqué pour concrétiser ce projet… Je prolongerai sans doute cette idée d’une autre façon.
Pour lui rendre hommage et étant donné les circonstances, j’ai le cœur à mettre en avant un objet personnel symbolique puisqu'il s'agit de ma première acquisition : une broche, rare sur le marché, commercialisée à l'époque de l'exposition à Beaubourg, sur laquelle le message emblématique inscrit semble indélébile : AIME-MOI
François-Xavier Courrèges (sentimental fx)
Stand 108 allée 1 Paul Bert
