Kaiteki Toda, Le Squelette dans la nature, Dans l'œil de Rage
Eloïse Poirson et Emmanuel Roucher de la Galerie Rage mettent en lumière leur coup de cœur du moment, une œuvre sur soie de Kaiteki Toda, Le Squelette dans la nature, vanité poétique, symbole de renouveau. Une invitation au cœur du Montparnasse des années 1920, dans l’univers des peintres japonais de l’Ecole de Paris
Durant l’ère Meiji, le Japon se modernise, s’ouvre à l’occident et à de nouvelles techniques picturales. De nombreux artistes se rendent à Paris pour étudier l’art en recherche de nouvelles techniques picturales. Entre 1920 et 1929, environ 200 artistes japonais sont à Paris, la plupart vivent à Montparnasse. De ces artistes l’on retient l’éminent Tsugouharu Foujita, mais Kaiteki Toda est également l’une des figures marquantes du courant japonais. L’écrivain américain Robert Mc Almon[1] écrivait à son propos : « Sa tête magnifiquement sculptée et son apparence tout entière éveillaient en nous les légendes des chevaliers Samouraï de l’époque avant que les parvenus du monde occidental n’envahissent le Japon ». Il quitte Tokyo pour Paris en 1923. Une anecdote raconte qu’il se serait coupé le doigt avant de partir afin de le laisser sur ses terres natales, dans l’idée que si jamais il ne revenait pas, une partie de lui resterait sur sa terre natale. Cet acte témoigne de l’arrachement culturel vécu par Toda, mais également d’un rapport à la mort sans doute particulier.
A Paris, Toda expose dans de nombreux salons qui ponctuent alors la vie artistique de l’époque. Il peint de manière relativement sérielle. Les poissons koï et le Héron, peints sur soie et conservés au centre Pompidou sont très représentatifs de son travail. Toda n’est pas influencé par les avant-gardes de l’époque et peint toujours de manière très traditionnelle. Foujita dont il était proche disait de lui « C’est un esprit libre… Il peint sans cesse des carpes, et bien qu’il peigne le même objet une centaine de fois, il a l’étrange capacité de bien le faire une centaine de fois »
En cela, l’œuvre présentée ici dénote…
Le squelette dans la nature
Aquarelle, gouache, encre noire sur soie avec argent
Signé K. Toda et inscrit en japonais Fait à Paris par Toda à l'automne 1925 en bas à gauche
80,9 x 151 cm
Observons-là de plus près…
Coup de cœur d’Emmanuel Roucher, sa « petite princesse » comme il aime à la nommer est une œuvre complexe et pleine de surprises. Au premier abord, on ne voit pas tout ce qu’il se passe. On voit un corps allongé, un cadavre dans un paysage désertique. Quand on s’approche et que l’on commence à regarder longuement, on voit petit à petit la vie frétiller et même grouiller car la scène regorge d’insectes. Cette peinture n’est pas du tout ce qu’elle parait être, c’est-à-dire morbide. Les insectes et leur emplacement ont été choisis avec soin. Le scorpion et le chemin de fourmis vers le sexe sont chargés d’une symbolique forte. Le cadavre s’enfonce dans une terre qui reprend le dessus, elle se fond dans le paysage
Vanité à la foi paisible et grinçante, spectaculaire par sa taille grandeur nature, c’est un tableau très précieux. Le travail de la soie, de l’argent, de l’or, la personne représentée était sans doute quelqu’un d’important et de haut placé. Elle porte des bracelets au bras et à la cheville, symbole d’une libération par la mort… Libération qu’il trouvera à son tour en se suicidant en 1931. Une œuvre testamentaire ? Difficile de le confirmer mais l’hypothèse reste légitime...
[1] Phillis Birnbaum, Glory in a Line, A Life of Foujita, the Artist caught between East and West, New York, Faber and Faber, 2006, p. 73-74.