Leopoldo Torres Aguero, au-delà de l’art Optique - Dans l'oeil d'Hugo Greiner

Leopoldo Torres Aguero, au-delà de l’art Optique

Hugo Greiner nous fait découvrir l’univers de Leopoldo Torres Aguero (1924-1995), artiste singulier proche du courant Cinétique mais dont la dimension spirituelle et symbolique nous emmène bien au-delà des frontières de ce mouvement…

Leopoldo Torres Aguero est un peintre argentin, né en 1924. Très tôt il s’engage dans l’art, vers l’âge de 20 ans, en organisant des expositions et commence à peindre. Sous l’influence de Picasso, il est très connu dans toute l’Amérique du Sud pour y avoir introduit le cubisme, mais en le réinterprétant avec une forme de réalisme magique, à l’image de ce que l'on pouvait alors voir en Italie.

Aguero voyage beaucoup et évolue au gré de ses pérégrinations. Le Japon d’abord, dans les années 1940 où il sera frappé par le shintoïsme, La France dans les années 1950 où il supervisera le carré des jeunes artistes du Salon des Réalités Nouvelles. Très reconnu pour son engagement pour la reconnaissance des artistes de l’école Sud-Américaine comme Jésus Soto ou Carlos Cruz-Diez, il fut un peu leur impresario. Par l’esthétique et la conception, il donne l’impulsion à la création du mouvement cinétique et optique sud-américain. Il développe une pratique optique à son retour du Japon, mais en y ajoutant toute la philosophie zen découverte là-bas. Contrairement aux artistes cinétiques de cette période, il ne se concentre pas uniquement sur une conception mathématique, il fait en sorte que sa peinture reste dans une dimension humaine, sensible. Il est évidemment peintre avant d’être mathématicien.

Si tout le monde pourrait y voir une œuvre purement cinétique, en réalité ce n’est pas la notion de mouvement qu’Aguero recherche, mais bien la lumière et la perception. Il utilise des formes simples, le carré, la sphère, le rond et leur donne une dimension particulière par l’intensité lumineuse. Il cherche une forme d’essentialisme de ce qu’il voit, croit et ressent. Sa volonté n’est pas de perdre le regard, mais de le concentrer et à ce titre-là, sa démarche n’a rien à voir avec l’art cinétique. Il apporte à sa peinture toute une dimension spirituelle et symbolique, nourrit de son expérience au Japon.

Le tableau présenté ici date de 1972

Leopoldo Torres Aguero est un artiste musicien, très ami avec Jorge Milchberg, fondateur du groupe Los Incas qui fit connaitre la musique péruvienne dans le monde avec la chanson « El condor pasa ».  Ce tableau a été élaboré à partir d’une musique de Milchberg. Pour construire ses œuvres, Aguero prenait une musique et en ressortait un algorithme qu’il notait sur le bord de la toile. Il réalise un calcul en se servant des bords de l’œuvre qui forme un carré parfait. Vient ensuite tout un travail de coulée de peinture, travail qu’il avait développé dès son retour du Japon. Il fixe sa toile sur une sellette et fait couler la peinture en la maîtrisant de manière à former des lignes droites, tout en se servant de son algorithme préalablement noté au crayon sur les bords de sa toile. Il peignait souvent les yeux fermés et arrivait à sentir la peinture couler ce qui faisait de cet acte un moment méditatif et spirituel. Ses coulures sont plus ou moins droites, mais celui-ci l’est incroyablement.

Désintéressé et spirituel, il prit toujours plus à cœur de défendre les artistes qui l’entourait plutôt que son propre travail. Leopoldo Torres Aguero est mort en 1995. Bien que très connu en Amérique du Sud, son œuvre demeure en manque de reconnaissance en Europe, par rapport à l’immensité de son travail.