Parole d’expert : Aurélien Jeauneau, le mobilier de la Reconstruction
Parlez-nous de votre spécialité
Je suis spécialiste du design français d’après-guerre, que l’on peut situer entre 1950 et 1965. C’est à cette période que l’industrie du meuble telle que conçue aujourd’hui se dessine. Le designer dessine, l’éditeur réalise et le diffuseur distribue. Tout ces designers, comme Pierre Paulin, Pierre Guariche ou Joseph-André Motte sont nés entre 1925 et 1930 et sortent diplômés de l’école des Arts Décoratifs ou de l’école Camondo, entre 1947 et 1950. D’abord stagiaires chez des maisons de design prestigieuses qui conçoivent du mobilier innovant et rationnel, ils vont être mis rapidement à contribution dans cette France d’après-guerre, où l’industrie est poussée par le Ministère de la Reconstruction. Le design de cette période puise son essence dans cette urgence. On va leur demander de concevoir les meubles qui vont agrémenter l’habitat du futur. Ils vont être attendus pour leur vision fraîche et jeune. Si aujourd’hui le design apparait comme quelque chose d’un peu élitiste, en 1950 ce n’est pas le cas, le meuble est une nécessité et les designers sont littéralement au service de la population.
Pourquoi cela vous touche particulièrement ?
Le design de cette période parle de notre histoire. La valeur ajoutée de ces pièces réside dans le fait que nous ne vendons pas seulement un siège, mais une part de notre histoire qu’il est possible de posséder. Cette histoire évoque l’industrie florissante d’une France qui avait connue l’enfer et qui voulait vivre pleinement, dans le bonheur total. C’est une période où tout était possible, où les créateurs bénéficiaient de la confiance absolue des industriels et où les gens achetaient ce mobilier avec la garantie d’une longévité digne d’une armoire normande ! C’est une époque où le « bas-de-gamme » n’existe pas encore.
Aujourd’hui, au-delà d’un effet de mode, ces meubles constituent quelque chose d’intemporel. Je suis persuadé que dans 20 ans, une paire de fauteuils des années 50 se mariera parfaitement avec une commode de 2030. Cette modernité-là, nous n’en sommes toujours pas sortis à l’heure actuelle, rien n’a été inventé de nouveau. Il est intéressant d’aller aux origines de notre société, car finalement c’est de cela qu’on parle avec ce mobilier. C’est de l’humain.
Quel designer aimez-vous plus particulièrement ?
J’aime particulièrement Pierre Guariche, qui est à mon sens le créateur ayant posé les jalons du meuble moderne. C’est un rationnel, très ancré dans la modernité, qui partait du principe qu’il fallait arrêter de reproduire les éléments de décor du mobilier des années 1940 et les surcharges considérées comme élégantes. Pierre Guariche va chercher la quintessence de la pièce en faisant en sorte que la forme serve la fonction. C’était un concepteur et un dessinateur incroyable, ses archives sont remplies de dessins de mille pièces qui n’ont pas été éditées.
Pouvez-vous nous présenter une pièce de votre stand ?
J’aime beaucoup cette paire de chauffeuses Memphis de 1964 éditée chez Meurop. C’est une chauffeuse qu’on appelait aussi « siège de télévision », confortable, accueillante, elle préfigure les assises en ras de sol qu’on trouve à l’aube des années 70. La courbe que l’on retrouve sur l’assise est celle du dossier, mais en négatif. Toutes ses lignes se répondent, c’est un bijou de courbes, de biais, et d’arrondis. Pierre Guariche signe ici sans doute un de ses plus beaux modèles !
Que représente Paul Bert Serpette pour vous ?
Pour moi, Paul Bert Serpette est avant tout une histoire. De passion, de parcours, d’humain ! Ce marché représente l’exigence et une transmission du métier d’antiquaire qui a toujours été ultra sérieuse entre ses murs. Ce sont des marchands rigoureux, offrant un service exigent et un accueil qualitatif. Paul Bert Serpette est une force vive dans la défense du design. Le métier d’antiquaire est ancien et les marchands arrivent à le réinventer à la perfection en proposant aux clients chaque jour des choses nouvelles. Paul Bert Serpette, c’est un voyage dans le temps !
Crédit photo : Grégoire Hababou/Sloft Magazine