Céramique
Dieu créa l'Homme à partir d'argile : « Alors Yahvé Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2,7)
Ainsi, l'Homme serait par naissance, selon la Bible, un être lié non pas seulement à la Terre, mais aussi à la terre en temps que simple matière.
On a trop tendance à penser que la céramique d'art, qui dépasse la notion d'utilité de l'objet, est l'apanage de la modernité. En fait, dès le Paléolithique, bien avant qu'il sache écrire, l'être humain modèle la terre. Etonnamment, il n'y façonne pas que des objets utiles, pour conserver et transporter eau et nourriture : la Vénus de Dolni Vestonice, plus ancienne céramique jamais retrouvée, n'est rien d'autre qu'une figure sacrée, qui a traversé 29 000 ans d'Histoire avant de nous parvenir. Elle est un objet d'art à part entière, témoin de son temps. Si la terre dont elle est faite avait été laissée crue, nous n'en aurions certainement pas eu connaissance, mais au mélange de terre et d'eau, l'Homme a eu la bonne idée d'ajouter un troisième ingrédient : le feu. Elément destructeur par excellence, il est paradoxalement la condition nécessaire à toute création pérenne. Et qui dit pérennité, dit histoire à raconter.
Car c'est bien cette ambition qui perdure dans toutes les époques qui ont jalonné l'histoire de la céramique et ce, jusqu'à nos jours.Témoin ce projet de fontaine du 19ème siècle, qui, dépassant son but a priori utilitaire, donne existence au mythe de la sirène. A l'inverse, la céramique peut n'être qu'un prétexte à raconter l'histoire. On se doute bien que cette amphore antique, décorée d'une scène de Bacchanale, est loin d'être faite pour transporter du vin ou de l'huile. Elle est bien trop précieuse, bien trop raffinée pour que l'on risque d'y faire le moindre éclat.
Quelquefois l'artiste décide à travers sa création de raconter l'histoire même de son Art. Le vernis noir au plomb de Paul Bonifas répond au vernis antique des céramiques grecques, mais il l'applique sur une forme moderne. Il y a une continuité dans l'usage des techniques et de l'esthétique que l'Art s'applique à faire perdurer et à renouveler. On sait combien d'ailleurs les clins d'oeil à l'Antiquité, considérée comme le berceau de notre civilisation, sont nombreux. La grande céramique de Toul-Bellevue, réalisée vers 1960, prend, elle, la forme d'une amphore antique. Ce n'est qu'un déguisement... Il ne s'agit plus là de terre cuite vernissée, mais d'un biscuit, recouvert qui plus est d'une laque pareille à celle utilisée sur les céramiques du Moyen-Orient. Ce vase, réunion de plusieurs techniques étrangères, devient une invention à part entière. La laque permet d'appliquer un décor coloré sur la matière blanche et poreuse du biscuit.
Ainsi le mélange des techniques est aussi un mélange des genres, puisque la peinture intervient pour donner couleur au décor. Dans cette suite d'assiettes du XVIIIème siècle, c'est le motif qui prime et qui fait d'elles des objets d'art à part entière. Elles deviennent décoratives, avant d'être utiles. On peut se servir du pichet de Jacques Blin, y mettre son eau ou son vin, mais les couleurs de son vernis, qui portent un décor cette fois gravé, font qu'on peut le poser, tel une sculpture, sur un piédestal. La glaçure de cette monumentale jardinière produite par la manufacture J. Vieillard est belle est bien faite pour recevoir terre et plante. Mais il est vrai aussi que l'oeuvre, aux formes si complexes, pourrait se suffire à elle-même. D'ailleurs, Nathalie Dupuis, spécialiste de la céramique et antiquaire à Paul Bert Serpette, n'a elle-même pas su trancher entre lampe et sculpture pour décrire sa céramique de Jean Derval, tant l'utile et l'art y sont confondus.
Ainsi, toute céramique raconte une histoire, figure quelque chose. Et quand bien même on aurait du mal à le percevoir dans certaines, alors on les nomme pour mieux saisir ce qu’elles figurent : le vase de Pol Chambost, pur travail de style, devient une fleur dès lors qu’on l’appelle « Corolle ». Mieux, même lorsqu’il répond aux canons de son époque, l'Art de la céramique cherche à dépasser l'Histoire, à contrer le Temps : ce n'est pas ce dernier qui provoquera les craquelures du glacis, et le céramiste fera de celles-ci un art, comme un pied de nez à l'usure et à la mortalité (Vase céladon, Chine, XVIIIème siècle).