« Nul ne saurait décrire le monstre, aucun langage ne saurait peindre cette vision de folie. »
Howard Philipps Lovecraft, L’Appel de Cthulhu, 1926
Au cours d’un tour de chine un vendredi matin, je suis passée voir Louis Baquet, un jeune marchand auquel j’achète parfois des pièces et dont j’aime l’œil. Sur son stand, mon regard fut rapidement attiré par un petit dessin représentant un curieux personnage. J’ai tout de suite voulu l’acquérir ; c’est ainsi que je découvris que Louis dessinait, et que le garçon sérieux et réservé que je croyais connaître abritait tout un monde étrange que je n’avais jamais soupçonné et dont j’ai voulu exposer les méandres.
« Quand on vit avec un monstre, on le préfère avec le sourire. »
Jean Giraudoux, 1937
A quel âge as-tu commencé à dessiner ? Est-ce que c’est une histoire qui se raconte depuis longtemps ?
Quand j’étais enfant, le dessin se rapprochait plus d’un jeu. Je racontais souvent une histoire, mes sujets de prédiction étaient les batailles, un siège médiéval ou encore un assaut naval, la majeure partie du dessin était attribuée à la vie sous-marine. C’est probablement de là que viennent ces inspirations de la biologie marine : tentacules, nageoires, crêtes, pinces…
Quel est ton parcours ?
J’ai recommencé à dessiner en 2019, peu de temps après avoir commencé le métier d’antiquaire. Je me suis rapidement intéressé aux dessins anciens et j’ai commencé à copier des dessins du XVIIIe siècle, notamment des arbres ou des scènes de genre hollandaises.
C’est durant le premier confinement que j’ai commencé à dessiner presque quotidiennement, mon ancienne copine m’a alors appris les rudiments de la perspective et des volumes. Durant le second confinement, mon grand-père m’a enseigné la technique de la gravure, ce qui a été une nouvelle approche du dessin et une période de réflexion sur la direction que j’allais prendre par la suite.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Howard Philipps Lovecraft, Odilon Redon, Victor Hugo, Jérôme Bosch, David Cronenberg, les caricaturistes du XIXe siècle, Alfred Kubin, Charles-Frédéric Soehnée, Gustave Moreau, Bruegel, Mœbius, Jodorowsky, Jacques Tardi, François Schuiten, Benoît Peeters…
Quelle est ta façon de procéder ?
Il y a trois ans, j’ai commencé à dessiner des souches de manière un peu surréaliste avec plusieurs traits et différentes façons de dessiner. En spirale, en laissant ma main trembloter ou encore en petites vagues superposées pour avoir un effet d’écaille. Au fur et à mesure, ces dessins ressemblaient de moins en moins à des souches et de plus en plus à des agglomérations de personnages. Je me suis par la suite inspiré de taches sur des murs, au sol ou des veines de certains marbres. Le trait s’est beaucoup affiné et les contrastes étaient de plus en plus marqués. Pour les encres, je pars toujours avec une idée en tête ou une inspiration d’un ancien dessin ou croquis au contraire des dessins au crayon, pour lesquels je pars d’une forme libre, qui évolue en même temps que le dessin.
Souvent, une idée peut être réutilisée dans plusieurs dessins en allant dans plusieurs directions différentes. Maintenant, dès qu’une idée me vient en tête, j’essaie de la noter pour m’en rappeler et la reproduire ensuite sur le papier.
Quelles sont tes techniques préférées ? Parle-moi de ton choix de faire des petits formats.
Ma technique préférée reste la mine de plomb mais elle exige beaucoup de temps. Un grand dessin peut me demander quarante à cinquante heures, voire davantage, c’est pourquoi j’ai progressivement opté pour de plus petits formats.
À l’encre, c’est plus immédiat, un petit format me prend entre trois et quatre heures, mais une fois la technique maîtrisée je m’oriente toujours vers des dessins beaucoup plus complexes et de plus en plus longs à réaliser.
Comment est arrivée la couleur dans ton travail ?
Avec mes derniers grands formats au crayon, j’ai ressenti un véritable désir d’introduire la couleur. Je réduisais les mines de crayons de couleur en poudre, les mélangeais, puis les appliquais au pinceau sur quelques petits détails. Quand je me suis remis à l’encre, le désir de couleurs s’est rapidement beaucoup plus affirmé.
Je pense m’attaquer à l’huile un jour, mais pas dans l’immédiat. Quoiqu’en général je change de technique sur un coup de tête, cela peut être dans trois jours comme dans trois ans.
Parle-moi de ton univers.
J’ai de nombreuses fois pensé à faire évoluer mon univers, mais sans vraie constance. J’avais dans l’idée que les agglomérations de personnages était des dieux, plus ils sont complexes et plus ils sont hiérarchiquement hauts, les personnages plus simples à l’encre étant des divinités mineures et les personnages minuscules qui leur tournent autour leurs adorateurs. Deux ou trois espèces d’adorateurs sont récurrentes dans plusieurs dessins. J’avais aussi pensé à créer un genre de langage en fonction des différents yeux, bouches et bras-tentacules, mais ça n’a jamais vraiment abouti.
Par la suite j’avais pensé à faire évoluer cet univers vers un nouveau format comme la bande dessinée, ce qui pourrait être assez amusant si j’arrive à trouver le temps un jour.
Qu’est-ce que le processus de création te procure ?
J’aime beaucoup voir l’évolution d’un dessin, le voir prendre forme jusqu’à son aboutissement. Plus le travail est long, plus la fin est satisfaisante. Dans les dessins les plus complexes, j’aime cacher des détails, qui ne seront pas forcément visibles de prime abord. J’aime beaucoup les œuvres qui se laissent découvrir au fur et à mesure comme les tableaux de Bosch, bourrés de détails cachés et de références. Ces œuvres que l’on peut regarder des heures et encore y découvrir de nouveaux personnages.
Est-ce que tu penses à en faire un métier ? Est-ce que ça va rester un passe-temps ?
Cohérences et liens avec ton métier d’antiquaire ?
Je ne suis pas encore prêt à en faire mon métier. J’ai plus de mal à travailler sous la contrainte et je souhaite que cela reste un plaisir avant tout, même si préparer cette exposition a été un exercice intéressant. En faire un métier pourquoi pas ?